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II


Comme il y a trente-six mille sortes de philosophes, il y a trente-six mille espèces de philosophies. La Philosophie est un certain exercice de mise en forme qui ordonne des éléments de n’importe quel aloi : il n’y a pas de matière Philosophique, mais une certaine manière de réunir des affirmations au moyen de techniques complètement vides par elles-mêmes. Le thomisme est une philosophie, le kantisme aussi. La Philosophie dit n’importe quoi, elle n’a pas de vocation éternelle, elle n’est jamais univoque. Elle est même le comble de l’activité équivoque.

La Philosophie cependant a une unité formelle de dessein, elle a la prétention permanente de formuler un ordre de la vie humaine. Il est inutile de penser qu’on fait de la philosophie simplement quand on fait la théorie de quelque chose : un abus de mots a seul pu amener à parler de la philosophie mathématique, ou de la philosophie biologique. La Philosophie finit toujours par parler de la position des hommes. Mais il n’y a pas un ordre unique de la position humaine, un résumé unique de leur destin, une seule clef de leur situation : c’est pourquoi la philosophie a été et demeure complètement équivoque. Ce qui se propose comme la première tâche est la définition de l’équivoque présente du mot Philosophie.

Aucune vocation théologique, aucune prédestination, aucune grâce n’enjoignent à la Philosophie d’être favorable aux hommes : lorsque les jeunes gens pensent que la Philosophie est la mise en œuvre de la bonne volonté, ils admettent cette vocation, cette grâce, cette prédestination. Mais elles n’existent pas. On ne saurait juger la Philosophie en faisant appel à une vocation imaginaire. Je trouve que la philosophie de M. Bergson est répugnante, que celle de