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Je demande à quoi sert la philosophie de maintenant. Les philosophes disent qu’elle ne sert à rien, mais seulement au vrai. Et finalement il y a des gens qui disent qu’elle est morte, qu’il faut l’oublier, qu’elle ne secourt personne mais ne fait de mal à aucune mouche. Philosophie pour la philosophie. Art pour l’art.

Mais ils prennent des désirs pour des faits. Cette philosophie n’est pas morte, mais doit être tuée. Elle n’a du cadavre que les apparences inoffensives. Elle n’est pas un corps en décomposition. Elle vit, mais de quelle vie ? Quelle est la fonction de sa vie ? Que de sortes de vies sur la terre ! Celle des vivants et celle de leurs ennemis, la vie d’un arbre et celle de son parasite, d’un homme et de ses vers. Je demande si le philosophe de ce temps vit comme un homme vivant ou comme un ver.

Il n’y a aucune raison de croire que la philosophie échappe aujourd’hui aux caractères traditionnels de la Philosophie, qu’elle a brusquement cessé avec l’avènement de la trinité démocratique de prendre des partis. Je dis qu’elle sert à voiler les misères de ce temps, le vide spirituel des hommes, la division de la conscience, la séparation entre les pouvoirs de l’homme et sa réalité présente. Qu’elle sert à mystifier les victimes de l’ordre bourgeois. Qu’elle ne sert pas la vérité, mais la classe sociale qui est la cause des malheurs humains, qu’elle a pour fonction de découvrir et de propager les vérités partielles relatives à la bourgeoisie et utiles à ses pouvoirs. Qu’elle n’est plongée en dépit des apparences que dans l’actualité de la satisfaction bourgeoise. Elle a une vie parasitaire. Contre les vivants. Qui sert la bourgeoisie ne sert pas les hommes.

D’autre part je ne comprends pas ce qu’on entend par la responsabilité du philosophe : je le prends pour un événement, je n’ai pas l’habitude de demander des comptes théologiques aux événements. Je suis toujours devant les montagnes. Il n’est pas question de louer, de blâmer, de châtier moralement un philosophe. Avec