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loin, affirmaient que M. Drieux ne voulait laisser deviner à personne l’ambition qui était née dans son cœur de toutes les déceptions de sa jeunesse, et qui le dévorait.

Au séminaire, en effet, mêlé aux enfants des familles les plus titrées et les plus riches, que n’avait-il pas souffert, lui, fils obscur d’un pauvre paysan ? que n’avait-il pas avalé d’humiliations de tous ces orgueilleux petits seigneurs ?

Et depuis, dans sa vie isolée, alors qu’aucun de ses projets ne réussissait, que nulle main ne se tendait vers lui, malgré tous ses compromis de conscience, que de rages impuissantes, que de fiel M. Drieux n’avait-il pas amassés au fond de son cœur contre la société tout entière !

Peu de temps après l’aventure qui l’avait chassé du cercle, sa tante vint lui mettre en tête un projet splendide, gros de compensations et de satisfactions à venir.

C’était un mariage avec une des plus riches héritières du pays, parente de madame de Sauvetat.

— Tu seras bien accueilli, dit la vieille fille, je le sais ; puis ensuite M. de Moussignac te poussera et te fera quitter cette odieuse ville où tu languis depuis trois ans.

Séance tenante, le procureur partit avec sa tante faire la demande.

— Soyez célèbre, lui répondit le vieil hobereau sans plus d’objections ni de difficultés ; prouvez-moi par une cause importante, par une affaire retentissante que vous dirigerez seul, que vous avez du talent, et ma fille est à vous. L’unique noblesse, aujourd’hui, est celle de l’intelligence ; c’est la seule que j’exige de mon gendre ; montrez-moi que vous l’avez, je ne vous demande que cela.