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lution, vous me connaissez, vos larmes me font horriblement souffrir, elles sont pour moi une torture capable de me tuer, mais elles ne peuvent me faire oublier ou trahir mon devoir. Adieu !

Après avoir prononcé ces mots, elle le quitta brusquement, comme si elle avait peur de ce qu’il allait lui répondre.

Jacques, désespéré, se retira.

Longtemps, on crut qu’il renonçait à ses projets de mariage, tant sa vie était redevenue calme et presque monotone, toute partagée entre ses études dans son cabinet ou ses plaidoiries au tribunal.

Ses visites à Roqueberre étaient si rares qu’on n’en parlait même plus.

Ses intimes — et ils étaient peu nombreux — affirmaient seuls que Jacques n’oubliait pas.

Ceux qui disaient ces choses n’étaient guère accueillis que par un sourire d’incrédulité.

Le temps des saintes affections, désintéressées et persévérantes, est en effet, passé. Ce siècle où tout se calcule et s’achète, où la femme est estimée, non suivant sa valeur personnelle, mais au taux de la dot qu’elle apporte, ce siècle n’est plus celui où, à travers mille obstacles, les hommes savaient conquérir ou attendre celle dont ils portaient les couleurs.

Un jour, comme Jacques entrait au cercle, il crut s’apercevoir qu’on parlait de son mariage manqué, car la conversation très animée, dont il surprit les derniers mots, s’interrompit brusquement à son aspect.

— Messieurs, dit-il froidement et sans la moindre hésitation, vous parliez, je crois, d’une chose qui m’intéresse personnellement ; il m’a semblé même que vous la discutiez.

On se récria. Le jeune homme sourit.