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— Si j’avais été un misérable rendant ma femme malheureuse, dit-il, si je l’avais trahie ou fait peser sur elle un joug despotique, si je lui avais imposé une tyrannie d’habitudes et de sentiments mauvais, en un mot, si je n’avais pas été capable de remplir les mêmes devoirs que je réclamais d’elle, je vous jure que je me serais fait justice et que j’aurais eu le courage de la débarrasser de moi. Mais si, à mon tour, n’ayant rien à me reprocher, j’étais tombé sur une créature indigne, j’aurais cherché des preuves de sa trahison, et lorsque je les aurais eues en main, je l’aurais tuée.

On se récria.

— Ce sont des catastrophes qu’on regrette toujours, dit quelqu’un.

— Je n’aurais rien regretté, reprit M. de Sauvetat, parce que j’aurais tout prémédité. Ah ! je n’aurais pas tiré un coup de révolver sans réflexion, avec beaucoup de scandale et de tapage, au hasard.

Non, j’aurais examiné, pesé l’affaire ; je lui aurais bien laissé le temps et la liberté de se défendre ; je serais descendu au fond de ma conscience pour savoir si mes procédés n’avaient rien provoqué ; mais lorsque ma conviction aurait été établie, je serais devenu implacable.

Tout le monde frissonna.

— Heureusement, dit quelqu’un, que sa femme est de celles qu’on ne soupçonne pas.

Malgré cette réflexion, chacun se regarda épouvanté de ces paroles sinistres, et plus encore peut-être, de la froide résolution avec laquelle elles avaient été prononcées.

Marianne s’arrêta.

— Oh ! je me souviens, dit niaisement M. Delorme, c’est vrai, j’y étais…