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Cependant aucun homme de la tribu n’était revenu, on n’avait pas de nouvelles.

Tout à coup, au loin, dans la nuit, on entendit un long hennissement qui s’affaiblit peu à peu, et s’éteignit comme un râle de mort.

Chériffa se leva d’un bond, et essaya d’éloigner les serviteurs qui se pressaient affolés autour d’elle ; au même instant le vieux cheik entra.

Il était livide et se soutenait à peine. Le grand haïk dans lequel il s’enveloppait était à l’endroit de la poitrine tout marbré de larges taches de sang. Ses traits portaient l’empreinte d’un désespoir sans bornes :

— Nous sommes vaincus, dit-il en tombant sur la peau de lion qui recouvrait son divan ; c’en est fait de la liberté arabe, tous nos cavaliers sont morts ou dispersés, les Français sont nos maîtres. Allah est grand !… Je n’ai pas de fils ; ma race ne sera pas esclave, et moi, je vais mourir !…

Il entr’ouvrit son burnous et montra sa poitrine sanglante.

Chériffa se jeta aux pieds du blessé.

— Ô mon père bien-aimé, s’écria-t-elle, pourquoi n’être pas demeuré dans votre paisible vallée où vous étiez si heureux ?

— Pourquoi, ma fille ? Parce que le devoir m’appelait là-bas, où les nôtres se faisaient tuer !… Qu’importe de vivre, si nous devons être asservis ?

La jeune femme sanglotait.

L’enfant, qui comprenait tout ce qui se passait devant elle, demeurait pensive et sérieuse.

— Je ne t’ai jamais rien reproché, ma fille bien-aimée, continua Muzza d’une voix plus faible ; je ne t’ai jamais demandé ce que tu ne me disais pas : tu as été