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— C’était en France, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

L’étranger la regarda étonné.

— Continue, fit-elle, pendant que son sein battait plus vite, j’avais deviné.

— Cette mort si imprévue, si foudroyante, m’a rendu fou. J’ai tout quitté, mon fils que je n’ai pas encore revu, ma famille, ma patrie ; je suis venu ici, en Afrique, je voulais mourir sur la terre étrangère pour retrouver plus tôt celle que je pleurais. Dans les combats, j’étais le premier : je n’avais peur ni du feu ni du fer, je recherchais les dangers. Ma témérité folle m’a donné des honneurs, mais la mort m’a fui.

Un jour, mon général en chef m’appela.

— Voulez-vous essayer d’aller pacifier les tribus du côté de Tlemcen ? me demanda-t-il ; elles sont indomptables et rebelles, peut-être parce qu’on a dénaturé notre caractère à leurs yeux. Allez, faites connaître et aimer la France, mettez-y tout le temps nécessaire, et réussissez.

Il y avait dans cette mission un grave danger probable, celui d’être massacré si on soupçonnait mon grade et ma nationalité, j’acceptai.

Chériffa appuya sa petite main tiède sur celle de l’officier.

— Et aujourd’hui, dit-elle, veux-tu encore que les miens te massacrent ?

Il retint cette main dans les siennes.

— Oui, fit-il d’une voix que l’émotion étranglait, parce que la destinée qui a semblé me sourire en mettant un ange sur mon chemin a été plus inexorable que jamais, par les obstacles invincibles qu’elle a suscités entre nous ; parce que, si ta voix si douce a fait revenir à mes côtés l’espérance, cette fée de ma jeunesse que je croyais perdue pour toujours, si tes grands yeux ont