Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/365

Cette page a été validée par deux contributeurs.

saient leurs grades et leur nationalité ; ils se faisaient passer pour des négociants juifs, des commerçants grecs ou même des émigrants marocains.

Vers 1836, un homme d’une quarantaine d’années arriva dans la tribu des Beni-Muzza.

Il était vêtu à la façon des Kabyles, d’une tunique de laine blanche serrée à la taille par une simple corde ; des bottes de cuir rouge, armées d’éperons d’argent, dessinaient un pied d’une petitesse féminine et d’une cambrure tout orientale ; rien n’était élégant et mâle tout à la fois comme la façon dont il se drapait dans son long kaïk, rattaché sur sa tête par une fine bandelette en poil de chameau.

Son large front dépouillé, aux bosses développées, portait la marque de l’intelligence et de la volonté. Les sourcils nettement dessinés se relevaient tout droits et donnaient à sa figure brune et hâlée une expression singulière de hardiesse et d’énergie.

Il était porteur de cuirs du Maroc, de couvertures de Fez, de fines dentelles de France, de rubans et de bijoux.

Muzza l’accueillit dans sa demeure, et Chériffa, sa fille unique, la perle de la tribu, lui prépara le café.

Ses manières douces, réservées, un peu hautaines, sa parole sobre, mais franche et loyale, plurent au vieux cheik.

— Tu es fatigué, lui dit-il, le soir même de son arrivée ; l’hospitalité de la montagne ne te paraîtra peut-être pas trop dure, passe quelques jours ici, tu chasseras avec nous, et si nous savons t’inspirer de l’amitié, tu reviendras.

— Je ne suis qu’un pauvre marchand, répondit le nouveau venu ; pourrais-je vous suivre contre le lion et le tigre ?