Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mon honneur en suspicion. Non, mieux vaut rester ici, méprisée, oubliée !…

— Jamais Jacques ne t’oubliera. Tu demeures pour lui éternellement la dévouée, entourée de l’auréole du martyr.

— Hélas !… Et dans dix ans, et dans quinze ans, cette affection ardente ne sera-t-elle pas affaiblie ?… L’âge, l’absence, l’habitude, n’auront-ils pas glacé son cœur ? Et dans vingt ans, les sentiers de notre vie, un instant croisés en leur route, ne seront-ils pas si profondément éloignés que nos yeux se reverront, mais que nos âmes ne se reconnaîtront plus ?

La grande cloche de la prison sonnait le coucher, Marianne dut rentrer surveiller son dortoir.

À partir de ce jour, l’amitié des deux jeunes femmes devint très grande. Marie-Aimée aurait voulu relever le courage abattu de Marianne ; mais elle dut constater que ses efforts n’étaient pas couronnés de succès.

En effet, les yeux de la prisonnière se cernèrent sensiblement, sa pâleur augmenta, ses pas devinrent chancelants.

La supérieure s’aperçut du changement qui s’opérait chez Marianne, et elle lui offrit une place d’infirmière. Elle espérait ainsi apporter une diversion dans sa vie, en lui donnant l’occasion d’un dévouement plus grand.

Une terrible épidémie sévissait : la fièvre typhoïde remplissait les salles, l’emploi était plein de dangers, Marianne accepta avec joie.

Il y avait, à cette époque, à Cadillac, un docteur, dont tout le monde se souvient encore.

Depuis longues années, il était médecin en chef de la maison centrale. Il avait vu arriver madame Marie-Aimé ; il avait soigné sa famille, et elle-même,