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lui. L’ambition folle d’un homme, une balle perdue, et mon bonheur a fui !… Rien, plus rien !…

À son tour Marianne l’embrassa.

— Tu te trompes, Aimée, dit-elle de sa voix grave, la mort vaut mieux que l’oubli !…

Elles restèrent sans parler un instant.

— J’étais si désespérée que je voulais mourir pour le rejoindre, reprit la sœur. Une nuit où je luttais contre ces idées de suicide, je me souvins d’une visite que nous avions faite ensemble, lui et moi, dans une maison centrale de femmes : c’était celle-ci. Faire remonter à la lumière ce qui reste de bon au fond de ces créatures, m’avait-il dit ce jour-là, quelle admirable tâche, et qu’elle est peu comprise !

Ces paroles me semblèrent un ordre. Au lieu de mourir, je suis venue m’ensevelir ici, le pleurant, l’aimant toujours, ne rêvant qu’après l’heure qui nous réunira.

La sœur avait terminé ses confidences, la nuit était tout à fait arrivée. La main dans la main, les deux jeunes femmes remontaient la pente de leurs souvenirs et pleuraient toutes deux :

— Aimée, dit enfin Marianne, il est mort en emportant ton souvenir vénéré et attendri, ta chère image est restée dans son cœur jusqu’au dernier moment, sans un doute possible, pure, radieuse, immaculée ; s’il pouvait se relever de sa tombe, il te retrouverait fidèle, consacrant ta vie à une de ses pensées, et tu ne trouves pas dans tout cela une suprême consolation ! Quelle différence pour moi !… Il vit, et tout nous sépare ! J’ai refusé des lettres de grâce, me diras-tu ? Est-ce que j’en veux, moi, de cette grâce incomplète qui laisserait un soupçon autour de moi ? Est-ce que je subirai jamais une réhabilitation problématique, qui tiendrait