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La nuit arrivait, une nuit de juillet lumineuse et douce comme une nuit des pays d’Orient.

Dans la clarté indistincte du soir, le profil régulier de la sœur s’estompait suave comme un camée antique, ses coiffes blanches étaient moins pures que sa joue pâle, ses grands yeux apparaissaient encore noyés dans les pleurs que ses souvenirs faisaient couler.

— Oui, j’ai aimé, murmura-t-elle, beaucoup aimé. C’est une triste histoire, mais ce secret de mon cœur que je n’ai jamais voulu dire, je vais te le confier ; parce que tu es la seule femme capable de me comprendre.

Marianne serra sa main ; elle se sentait prête à oublier sa douleur pour celle de son amie.

— Je n’ai pas connu ma mère, commença Aimée, mon père lancé dans les grandes affaires m’avait confiée à une tante qui m’a élevée dans ce pays-ci, avec ses enfants, un fils et une fille. Mon cousin Henry avait cinq ans de plus que moi ; juste l’âge voulu pour me protéger et veiller sur moi ; du plus loin que je me souviens, il ne faisait d’autre différence entre sa sœur et moi que celle de me céder plus souvent ou de me donner toujours raison dans nos querelles d’enfants.

Un jour il entra à Saint-Cyr, il devait en sortir officier. Avec les brillantes relations de notre famille, une belle carrière s’ouvrait devant lui.

La même année, mon père me maria au comte de Ferreuse. Il avait vingt-cinq ans de plus que moi ; mais on ne me demanda pas si cela me plaisait ou non. Mes deux millions de dot devaient redorer le blason qu’il m’apportait ; mon père faisait restaurer superbement l’hôtel du faubourg Saint-Germain, qui avait appartenu à sa famille. Appeler sa fille comtesse et la voir à la cour, était le rêve de ce pauvre père.