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Depuis six mois, en effet, le mariage de sa pupille avec Georges Larroche, avait été la grande désolation de Jacques. Malgré toute son impartiale volonté, il lui avait été impossible de tendre franchement la main au futur mari de Marguerite.

Il se sentait contre lui des préventions d’autant plus insurmontables qu’il ne se les expliquait par aucune raison plausible.

— J’avoue, dit-il tout haut, au bout d’un instant, que je n’ai découvert chez ton fiancé aucune des qualités qui te l’ont fait désirer pour mari. Et pourtant, je l’ai observé et étudié sérieusement, sans parti pris. J’ai pour lui une invincible répugnance. Pourquoi ? Je ne le sais pas. Cependant, ma fille, tu parais souffrir, et, avant de décider irrévocablement quoique ce soit, tu ferais peut-être bien de réfléchir encore.

— Non, je ressemble à celle qui m’a élevée ; je ne reviens jamais sur ma parole, ni ne fais les choses à demi ; je renonce complètement à M. Larroche.

Malgré elle, en prononçant ces derniers mots, sa voix eut des inflexions navrantes.

Jacques s’en aperçut.

— Mais tu es malheureuse, ma chérie, s’écria-t-il, tu me caches peut-être quelque chose ! Oh ! parle, ma Gri-Gri, parle, je t’en supplie. Mes préventions ne sont rien, je ne compte pas, moi ; il n’y a que ton cœur qui est en jeu, ouvre-le moi, ma fille, ma vieille expérience saura bien trouver un baume à ta blessure.

Elle le regarda un instant tout émue, puis s’appuyant sur lui familièrement comme au temps de son enfance :

— Que tu es bon, Jacques, dit-elle doucement, et qu’elle a eu raison de t’aimer et de te choisir entre tous ! Ma blessure, ami, ne se cicatrisera jamais, elle est de celles qu’on porte au tombeau.