Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

séder la seule femme qui ait jamais existé pour lui, ou dévouer ses forces au service des pauvres et des opprimés ?…

Bâtir un foyer, créer une famille, ou s’oublier pour travailler à l’édification et à l’affranchissement de la grande famille humaine ?

Que lui importait ?…

Comprimer les aspirations de son cœur, les désirs de sa virilité pour enseigner, éclairer, sauver, relever tout ce qui souffrirait autour de lui ?

Peut-être !… Mais dans tous les cas, il se rappelait les résolutions prises autrefois dans le cabinet du juge, le soir où celui-ci lui avait montré la blessure saignante de son âme. Il voulait tenir ses promesses, bravement, pour être digne de lui, d’elle surtout, la grande sacrifiée volontaire ! Il voulait que sa vie brisée fût utile à la cause qu’il avait toujours défendue, il voulait que son désespoir fût fécond, et se déversât en bienfaits autour de lui.

Et l’esprit subitement fortifié par le calme qui émanait de la nature elle-même, le cœur soulevé vers la beauté parfaite et la bonté infinie, comprenant l’âme et la raison des choses, il répétait :

— Que peuvent faire les larmes, les séparations et les regrets, si de notre désespoir naît le bonheur de Marguerite, et si l’autre finit par se réhabiliter dans le repentir !…

Tout à coup, de ce rêve de pureté, de ce milieu de force et de grandeur dans lequel il s’oubliait, une voix le réveilla et le rappela sur terre.

— Pourquoi vous isoler ainsi, Jacques ? dit-on tout bas près de lui ; que faites-vous donc loin de nous tous ?

Le jeune homme, brusquement arraché à l’extase, baissa les yeux ; Blanche était à ses côtés.