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convient. Sa fortune est minime à côté de la tienne ; il a quinze ans de plus que toi ; enfin, sa valeur intellectuelle n’est pas celle que je voudrais trouver dans le mari auquel je te donnerai.

La jeune fille appuya sa main sur le bras de Jacques.

— Comme fortune et valeur morale, mon ami, dit-elle, mon père l’avait choisi ; comme âge et valeur intellectuelle, je l’aime !

Elle prononça ces quelques mots d’une voix si ferme et si claire, que Jacques, qui se connaissait en sentiments vrais, autant qu’en résolutions arrêtées, baissa la tête.

— Me promets-tu au moins de réfléchir ? demanda-t-il sans insister davantage. Me permets-tu d’en parler à ta mère ?

— Je te demande, au contraire, de ne pas lui dire un mot avant que je ne t’y autorise. Mais, se hâta-t-elle d’ajouter, je te promets six mois de réflexion ; dans six mois, tu me communiqueras de ton côté ce que tu auras résolu : étudie Georges, sans parti pris, sans arrière-pensée. Cela te va-t-il ?

— Oui, je te jure de mettre toute prévention de côté, pour ne regarder que ton bonheur et ton avenir.

— Tu devrais dire un peu aussi « ton devoir » ; car les dernières paroles que mon père m’a adressées ont été celles-ci « Je ne serai heureux que le jour où tu seras la femme de Georges. »

— C’est singulier ! répéta Jacques.

Et il quitta sa pupille, le cœur serré.

Comment M. de Sauvetat, le grand seigneur délicat et raffiné, comment cet homme intelligent, au coup d’œil droit et sûr, s’était-il décidé à donner sa fille à un individu de nulle valeur ?

Ce projet avait-il germé instantanément dans la pen-