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cales, se prit tout à coup d’une vraie passion pour cet ingrat et insupportable instrument qu’on appelle le piano. Avec une persévérance qu’on ne lui connaissait pas, elle étudiait du matin au soir.

Gammes, études, exercices, rien ne rebutait ses petits doigts fluets.

Cette nature délicate et nerveuse devait être accessible aux beautés des maîtres et à la poésie qui s’y trouve ; elle réussit pleinement, en effet, et au bout de quelque temps elle ravit tous ses amis par la manière charmante dont elle interpréta certains morceaux assez difficiles du répertoire classique.

Enfin, un jour, Blanche annonça qu’elle avait profité des offres bienveillantes de M. Larroche, et que, dans le but de perfectionner le talent naissant de sa fille, elle avait consenti à ce qu’ils étudiassent ensemble un morceau pour piano et violoncelle.

Jacques fronça violemment les sourcils, en pensant à l’intimité qu’avaient dû faire naître ces études probablement assez longues, études qu’on lui avait soigneusement cachées.

La jeune fille s’aperçut de la contrariété de Jacques.

L’exécution de son morceau avait été un triomphe pour elle ; chaque phrase, chaque pensée avait été rendue avec une expression si profonde, que des larmes s’échappaient de tous les yeux.

Elle était heureuse, elle rayonnait.

Mais le bonheur chez elle, comme autrefois chez une autre, avait ce recueillement, cette concentration au dedans d’elle-même, qui ne se trahissait que par le charme plus intense du regard. Jacques connaissait cette expression et ne pouvait s’y tromper.

— Voyez donc, dit-il à M. de Boutin, voyez Marguerite ; que se passe-t-il ?