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tendresse et une émotion indicibles ; oui, moi aussi, je t’aime et je t’aimerai comme ceux qui t’ont confiée à moi, ne l’oublie pas.

Elle tint sa promesse. Tous les soirs, tandis que M. de Boutin causait avec Blanche, Marguerite, sérieuse et réfléchie, parlait à Jacques de l’exilée, et lui assurait qu’elle reviendrait.

— Ce n’est pas seulement une espérance, mon ami, lui disait-elle alors, c’est une certitude. Je la vois près de toi, heureuse, honorée, t’aimant…

— Nous aimant, reprenait Jacques.

Marguerite secouait tristement la tête, et avec ses grands yeux étranges, ses yeux qui avaient l’air de voir les choses ignorées comme ceux des pythonisses antiques :

— Non, ajoutait-elle, mon rêve vous montre tous deux à moi, mais je ne suis plus avec vous.

L’hiver arrivait à grands pas, le temps se faisait froid.

Les hautes flambées de l’âtre réjouissaient-elles un peu la pièce triste où l’on passait les soirées ? Autour de la flamme claire, l’intimité, avec sa douceur familière, apportait-elle comme un rayon dans le désespoir de ceux qui étaient là ?

Ce n’était pas possible pour Jacques ni M. de Boutin ; mais il sembla un jour au jeune homme que les regrets de Marguerite étaient moins âpres.

Absorbé comme il l’était dans une pensée unique, cette découverte lui fut douloureuse. Qu’avait-elle donc ?

Elle pleurait bien toujours en prononçant le nom bien-aimé de Marianne, mais sous ses larmes subitement séchées, sous ses accès de mélancolie que venait de temps à autre éclairer un souvenir plus heureux, Jacques devinait une pensée étrangère qu’on ne lui disait pas.