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quelle qu’elle soit, qui puisse vous empêcher de révéler à la justice ce que vous savez. Ne connaîtriez-vous qu’un nom, une date, nous devons le savoir comme vous.

Jacques parut se recueillir.

Dans la salle, maintenant, régnait un silence religieux ; toutes les poitrines haletaient, l’anxiété était poignante.

— Je n’ai ni preuves ni indices, monsieur le président, répondit Jacques ; M. de Sauvetat ne m’a jamais donné les explications que je ne lui demandais pas, parce qu’à son point de vue comme au mien l’heure des confidences n’avait pas sonné.

Mais à l’époque où la jeunesse de Marianne ne permettait pas de croire que la moindre pensée coupable pût se glisser dans l’affection de l’honnête homme que vous connaissiez tous, je les ai vus ensemble, j’ai vécu avec eux ; je me souviens des baisers et des caresses du tuteur, des larmes qui remplissaient ses yeux lorsqu’il tenait sa pupille embrassée des soirées entières. Je me souviens surtout de ses longues tristesses, de ses mélancolies silencieuses, quand il la retrouvait après quelques jours d’absence. On aurait dit alors que sur les traits de l’enfant son souvenir ému cherchait l’image d’une autre créature aimée ; on sentait que, de la vivante, sa pensée remontait vers la morte.

À ces mots, le ministère public interrompit l’avocat.

— Maître Descat semble vouloir insinuer que M. de Sauvetat était le père de l’accusée, dit-il. Mais que MM.  les jurés ne se laissent pas abuser : M. de Sauvetat aurait aujourd’hui quarante-trois ans ; l’accusée, de son aveu, en a vingt-cinq ; la paternité est donc à peu près impossible.

Du reste de seize à dix-sept ans, M. de Sauvetat était