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de ma mère qui est toute voisine de cette ville. Tôt ou tard, je le sens, cette preuve qui nous échappe aujourd’hui passera à notre portée, il ne faut pas la laisser fuir, ce jour-là. C’est moi qui désormais aurai pour toute occupation et tout devoir de la faire naître ou de la saisir. Ô Marianne, Marianne, il faudra bien que tu me sois rendue et que tu me reviennes, puisque sans toi je ne peux pas vivre !

Ils continuèrent à causer toute la nuit, M. de Boutin écoutant les projets de Jacques avec une douceur inaltérable, essuyant ses larmes, lui rendant par de bonnes paroles toute sa volonté et son énergie.

Un pâle jour d’hiver blanchissait les vitres de la salle d’études, et M. de Boutin consolait toujours le jeune homme.

Devant le grand exemple d’abnégation que lui donnait son ami, la volonté de Jacques était revenue plus virile et plus forte, trempée au feu de la douleur et de l’épreuve. Il regagna l’hôtel où il était descendu, se jurant d’employer toutes ses forces à sauver Marianne dans deux mois ou dans dix ans, n’importe.

Et les ouvriers de Roqueberre qui partaient à l’ouvrage dès l’aube, voyant encore brûler la petite lampe derrière la fenêtre du juge se disaient :

— Celui-là est bien un honnête homme, car il ne laisse pas condamner les pauvres gens sans étudier leurs affaires le jour et la nuit.

Ils admiraient alors, sans se douter que là-haut il s’était passé pendant la nuit une chose en effet bien admirable :

Un cœur brisé qui avait oublié sa propre souffrance pour réconforter et relever un homme peut-être moins torturé et moins malheureux que lui-même.