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suis sûr de votre innocence, mais vous l’aimiez et vous ne voulez plus vivre parce qu’il est mort !

Marianne envoya au juge un de ces étranges regards que nul ne pouvait définir.

— Vous vous trompez, dit-elle lentement, en laissant tomber ses paroles une à une ; ce n’était pas lui que j’aimais ainsi, et je lui avais, au contraire, promis de vivre… Mais si, à ses chères cendres irritées, il faut une victime, ne vaut-il pas mieux que ce soit moi qu’une autre… moi, la délaissée, l’oubliée, moi dont nul ne se souviendra demain, et qui n’ai ni nom, ni patrie, ni famille ?

Et, en disant ces mots, elle appuya son front blanc sur sa petite main pâle, où les veines bleues se dessinaient maintenant sous la peau amincie.

Le magistrat se rapprocha d’elle.

— Vous êtes cruelle pour ceux qui vous aiment, dit-il. D’ailleurs, pourquoi vous calomnier et vous méconnaître vous-même ? Êtes-vous vraiment de ces femmes qu’on oublie et que l’on méprise ? N’êtes-vous pas plutôt une de ces saintes créatures, anges bénis de la famille, gardiennes adorées du foyer domestique, devant lesquelles tout homme devrait s’agenouiller ? Votre souvenir n’est-il pas de ceux qu’on garde éternellement intacts et vénérés, et que les générations se transmettent avec le même sentiment de respect et d’amour ineffaçable ?

Marianne ne répondait pas, mais de grosses larmes gonflaient ses paupières, tandis que son sein se soulevait avec violence.

Était-ce donc vrai ? Un être sur terre l’aimait-il encore de cet amour complet, inviolable, respectueux et absolu ?

Comme pour répondre à ce doute qu’elle ne formulait pas, M. de Boutin reprit :