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ton, continua-t-il d’un air fin, qu’elle vous a fait une certaine impression, notre belle criminelle ?

Et comme la physionomie du juge, colorée d’une rougeur subite, devenait sévère et froide :

— Oh ! reprit M. Drieux, ne vous fâchez pas, car il n’y a rien d’étonnant à ma supposition. C’est qu’elle est singulièrement irrésistible, cette fille pâle, aux yeux noirs comme la nuit, à la taille plus souple que les lianes d’Amérique, et qui nous arrive au parquet entre deux gendarmes du même pas que devaient avoir les déesses lorsqu’elles marchaient dans les nues.

Je ne sais pourquoi, lorsque je la vois apparaître hautaine et fière, triste et résolue, je pense malgré moi à cette jeune reine de Saba, qui traversait les déserts pour s’en aller porter ses présents à Salomon.

M. de Boutin profondément absorbé n’écoutait pas.

— Avez-vous retrouvé le pharmacien qui a vendu l’acétate de plomb ? demanda-t-il au bout de quelques minutes.

— Mais M. Loze, probablement ! C’était celui de la famille.

— Je l’ai interrogé, il ne s’en souvient pas, et nulle mention n’est faite chez lui sur le registre où doivent s’inscrire les poisons vendus.

— C’est une négligence de ses commis qui sont tous les deux très jeunes. Celui qui l’a livré n’ose l’avouer de peur d’être grondé et même renvoyé.

— Non, non, insista M. de Boutin, ce n’est pas possible. Ou l’on a renouvelé les achats d’extrait de saturne souvent, et dans ce cas les uns ou les autres devraient se souvenir au moins d’une livraison ; ou bien la dose a été prise à la fois, et je me demande quel est le pharmacien capable de délivrer une telle quantité sans ordonnance.