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LE CLOWN



Mon cirque fait relâche, et j’en profite, amis,
Me trouvant ce soir libre, et correctement mis,
Pour vous dire en deux mots ma singulière histoire :
J’ai commencé mes tours au bord d’un écritoire,
— Ah ! dame, vous savez, on commence où l’on peut,
J’ai fait beaucoup de vers dont on se souvient peu,
J’ai célébré l’éther, l’océan, la mouette,
La forêt, l’arc-en-ciel, l’amour : j’étais poète !
Vous avez feuilleté mes livres sur les quais,
Ils sont tous entassés sur le quai Malaquais ;
J’ai rêvé des sommets altiers, des fières cimes
Qu’on peut escalader sur les ailes des rimes…
De ma jeunesse en fleur tel fut le clair matin.

Mais la vie est un rink où souvent le patin
Nous emporte bien loin du but : erreur fatale !
J’ai traîné l’habit noir du solliciteur pâle
Qui cache un manuscrit lourd, j’ai connu l’horreur
De l’antichambre où l’on attend qu’un directeur