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architecture des escaliers, fontaines, terrasses, galeries, le dessin des corbeilles et des massifs, la nature, la forme et les couleurs des végétaux de toute espèce qui étaient l’ornement de ce paradis, tandis que les guides leur donnaient toutes les explications souhaitables.

« Ne vous étonnez pas, ô Ligures, des particularités de notre flore et de notre faune, non plus que de la singularité de nos mœurs et coutumes, disait Triptolème à Porphyre en remontant la grande allée du parterre où cent jets d’eau de rose et de jasmin fusaient et retombaient dans les vasques bigarrées. En Cocagne règne une douceur perpétuelle ; la température, toujours égale, n’y saurait incommoder comme en tant de pays chauds ; les saisons s’y succèdent aussi variées qu’en vos contrées hyperboréennes, mais sans présenter les inconvénients des tristes intempéries et des fâcheux excès qui vous gâtent là-bas et l’hiver et l’été. S’il neige ici, c’est sucre en poudre ; s’il pleut, c’est eau de framboise et vin de Montrachet ; s’il gèle à glace, c’est sorbets au marasquin ; si le soleil darde, c’est rayons de miel ; s’il vente, c’est fumet de venaison et de perdrix rouge… »

Les ambassadeurs d’Akakia, à la contemplation de toutes ces merveilles, n’en croyaient pas leurs yeux. « En vérité, disait Porphyre, les domaines du roi de Cocagne laissent loin derrière eux les jardins d’Aleinoüs ; car ici non seulement les plus rares essences portent en même temps des fleurs et des fruits, mais encore on en tire liqueurs et confitures ; il n’est pas jusqu’à l’écorce tombant à l’automne qui ne vaille les plus savoureux flans et les meilleures talmouses. Les fontaines pissent ratalias et sirops ; la terre recèle en guise de cailloux massepains et gimblettes ; dans les potagers l’on trouve, outre les légumes au naturel, des beignets de choux-fleurs, des salsifis frits et des asperges à la crème. Je vois des puits de miel et d’hypocras… Sans doute ici les ortolans tombent-ils tout rôtis du ciel et les charcutiers cueillent-ils l’andouille et le boudin, comme dans les îles du Sud on prend le pain sur les arbres ?

— Peu s’en faut, répondit Triptolème ; le travail en Cocagne n’est pas comme en vos climats peine, fatigue et punition du ciel ; c’est un jeu agréable et divers et toujours renouvelé.

On arriva au cabinet de verdure où le déjeuner était servi. Déjà le bon Philène était attablé, entouré de ses favoris qu’il appelait ses Choux et qui portaient de belles braguettes et des floquets de rubans multicolores. Des huissiers, ayant en sautoir des chaînes de coques et de bigorneaux, firent placer les convives. Le voyage, le grand air avaient aiguisé l’appétit