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fement, de frayeur subite, d’anxiété sans trêve, et l’on a recours à l’artiste pour évoquer cette chasse infernale. Dans l’économie spirituelle de nos hommes cultivés, l’art est un besoin ou complètement mensonger ou avilissant ; ce n’est rien ou c’est quelque chose de mauvais. L’artiste, le meilleur et le plus rare, ne voit rien de tout cela, car il est en proie à une sorte de rêve assoupissant, et répète en hésitant, d’une voix mal assurée, des paroles belles et étranges qu’il croit entendre de fort loin mais dont il ne distingue pas le son assez clairement. Tandis que l’artiste de trempe tout-à-fait moderne s’avance plein de mépris pour l’hésitation et les paroles rêveuses de son noble compagnon ; il tient en laisse toute la meute glapissante des passions et des horreurs pour la déchaîner au besoin sur les hommes modernes ; car ces derniers préfèrent être poursuivis, blessés et déchirés, plutôt que d’être obligés