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quelques instants ; plus forte et plus pénible devient aussi la tension entre la connaissance générale des choses et la faculté morale de chacun de nous. Et l’art nous est donné pour empêcher que l’arc ne se brise.

L’individu doit être transformé en quelque chose d’impersonnel ; voilà ce que se propose la tragédie ; elle veut qu’il désapprenne l’épouvante qu’inspire à chacun la mort et le temps ; car dans le moment le plus fugitif de son existence il peut lui arriver quelque chose de saint qui l’emporte infiniment sur toute espèce de lutte et de souffrance ! Et c’est là ce qui s’appelle avoir le sentiment tragique. Et si toute l’humanité doit mourir un jour, — et qui voudrait en douter ! — son but, sa mission principale pour les temps à venir doit être de s’unir, de se fondre en une seule communauté afin de pouvoir marcher au-devant de sa ruine imminente