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permanente s’empare de lui et il se sent comme forcé de passer désormais sa vie si lucide, si consciente, au milieu de somnambules et de créatures vivantes assumant gravement des allures de fantômes ; si bien que tout ceci qui paraît si naturel à d’autres, le remplit d’un trouble inusité, et qu’il est tenté de n’opposer à ce phénomène qu’un orgueilleux dédain. Mais quel choc étrange ce sentiment ne subit-il pas lorsque à la clairvoyance de son orgueil frémissant vient se joindre un tout autre instinct : l’aspiration à quitter les hauteurs pour les profondeurs, le tendre désir de la terre, du bonheur en commun — puis, lorsqu’il pense à tout ce dont il est privé dans sa solitude de créateur, l’obligation pressante de rassembler, tel qu’un dieu descendu sur la terre, tout ce qui est faible, humain, égaré, et de „le soulever dans ses bras ardents vers les cieux,“ pour trouver enfin l’amour au lieu de l’adoration,