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L’ESPRIT RELIGIEUX

d’une façon occulte, nettement anti-chrétienne, bien que, soit dit pour des oreilles plus subtiles, nullement anti-religieuse. Jadis, on croyait à l’« âme », comme on croyait à la grammaire et au sujet grammatical. On disait : « Je », condition, — « pense » attribut, conditionné. Penser est une activité, à laquelle il faut supposer un sujet comme cause. On tenta alors, avec une âpreté et une ruse admirables, de sortir de ce réseau ; on se demanda si ce n’était pas peut-être le contraire qui était vrai : « pense » condition, « je » conditionné. « Je » ne serait donc qu’une synthèse créée par la pensée même. Au fond, Kant voulait démontrer qu’en partant du sujet le sujet ne pouvait être démontré, et l’objet non plus. La possibilité d’une existence apparente du sujet universel, donc de l’« âme », ne paraissait pas lui avoir toujours été étrangère, cette pensée qui, comme philosophie des Vedanta, a déjà eu sur la terre une puissance formidable.

55.

Il y a une grande échelle de cruauté religieuse, beaucoup d’échelons, mais trois de ces échelons sont les plus importants. Autrefois, on sacrifiait à son dieu des hommes, peut-être justement ceux que l’on aimait le plus. Il en fut ainsi des offrandes des prémices, dans toutes les religions préhistoriques, et aussi des sacrifices de l’empereur