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L’ESPRIT RELIGIEUX

49.

Ce qui étonne dans la religiosité des anciens Grecs, c’est l’abondance effrénée de gratitude qu’elle exhale. Quelle noble espèce d’hommes qui ont une telle attitude devant la vie ! — Plus tard, lorsque la populace eut la prépondérance en Grèce, la crainte envahit aussi la religion, alors le christianisme se prépare…

50.

La passion pour Dieu : il en est de brutales, de sincères et d’importunes, comme celle de Luther, — au protestantisme tout entier la délicatesse du Midi fait défaut. Il y a une façon orientale d’être hors des gonds, comme c’est le cas chez l’esclave affranchi ou émancipé à tort, par exemple chez saint Augustin, dont le manque de noblesse dans les attitudes et les désirs va jusqu’à devenir blessant. Il y a une tendresse et une ardeur toutes féminines, qui, pleines de timidité et d’ignorance, aspirent à une union mystique et physique, comme chez Mme Guyon. Dans nombre de cas, cette passion apparaît, de façon assez singulière, comme le déguisement de la puberté chez la jeune fille ou l’adolescent, parfois même comme l’hystérie d’une vieille demoiselle, et aussi comme la dernière ambition de celle-ci. Plus d’une fois, dans des cas pareils, l’Église a canonisé la femme.