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L’ESPRIT LIBRE

situation a dû grandir jusqu’à l’énormité, le génie d’invention et de dissimulation (l’« esprit »), sous une pression et une contrainte prolongée, se développer en hardiesse et en subtilité, la volonté de vivre se surhausser jusqu’à l’absolue volonté de puissance. Nous pensons que la dureté, la violence, l’esclavage, le péril dans l’âme et dans la rue, que la dissimulation, le stoïcisme, les artifices et les diableries de toutes sortes, que tout ce qui est mauvais, terrible, tyrannique, tout ce qui chez l’homme tient de la bête de proie et du serpent sert tout aussi bien à l’élévation du type homme que son contraire. Et, en ne disant que cela, nous n’en disons pas assez, car, tant par nos paroles que par nos silences en cet endroit, nous nous trouvons à l’autre bout de toute idéologie moderne, de tous désirs du troupeau. Serions-nous peut-être les antipodes de ceux-ci ? Quoi d’étonnant si nous autres « esprits libres » ne sommes pas précisément les esprits les plus communicatifs ? si nous ne souhaitons pas de révéler, à tous égards, de quoi un esprit peut se libérer, et où il sera peut-être poussé ensuite. Pour ce qui en est de la dangereuse formule « par delà le bien et le mal », elle nous préserve au moins d’un quiproquo, car nous sommes tout autre chose que des « libres-penseurs », des « liberi pensatori », des « freie Geister » et quels que soient les noms qu’aiment à se donner ces braves sectateurs de l’« idée moderne ». Familiers