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L’ESPRIT LIBRE

qu’il y eût un « bien public » ! Le mot se contredit lui-même. Ce qui peut être public est toujours de peu de valeur. En fin de compte, il faut qu’il en soit comme il en a toujours été : les grandes choses sont réservées aux grands, les profondes aux profonds, les douceurs et les frissons aux âmes subtiles, bref, tout ce qui est rare aux êtres rares.

44.

Après tout cela, ai-je encore besoin de dire qu’eux aussi seront des esprits libres, de très libres esprits, ces philosophes de l’avenir, bien qu’il soit certain qu’ils ne seront pas seulement des esprits libres, mais quelque chose de plus, quelque chose de supérieur et de plus grand, quelque chose de foncièrement différent, qui ne veut être ni méconnu, ni confondu ? Mais, tout en disant cela, je sens envers eux, autant qu’envers nous-mêmes, qui sommes les hérauts et les précurseurs, nous autres esprits libres ! — je sens le devoir d’écarter de nous un vieil et stupide préjugé, une ancienne méprise, qui, depuis trop longtemps, ont obscurci comme d’un brouillard l’idée d’« esprit », lui enlevant sa limpidité. Dans tous les pays de l’Europe, et aussi en Amérique, il y a maintenant des gens qui abusent de ce mot. C’est une espèce d’esprits très étroits, d’esprits bornés et attachés de chaînes, qui aspirent à peu près au contraire de ce qui répond à nos intentions et à nos instincts, — sans compter