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L’ESPRIT LIBRE

l’odeur des petites gens y demeure attachée. Partout où le peuple mange et boit, même là où il vénère, cela sent mauvais. Il ne faut pas aller à l’église lorsque l’on veut respirer l’air pur. —

31.

Durant les jeunes années on vénère ou on méprise encore, sans cet art de la nuance qui fait le meilleur bénéfice de la vie, et plus tard, il va de soi que l’on paye très cher d’avoir ainsi jugé choses et gens par un oui et un non. Tout est disposé de façon à ce que le goût le plus mauvais, le goût de l’absolu, soit cruellement bafoué et profané jusqu’à ce que l’homme apprenne à mettre un peu d’art dans ses sentiments et que, dans ses tentatives, il donne la préférence à l’artificiel, comme font tous les véritables artistes de la vie. Le penchant à la colère et l’instinct de vénération, qui sont le propre de la jeunesse, semblent n’avoir de repos qu’ils n’aient faussé hommes et choses pour pouvoir s’y exercer. La jeunesse, par elle-même, est déjà quelque chose qui trompe et qui fausse. Plus tard, lorsque la jeune âme, meurtrie par mille désillusions, se trouve enfin pleine de soupçons contre elle-même, encore ardente et sauvage, même dans ses soupçons et ses remords, comme elle se mettra en colère contre elle-même, comme elle se déchirera avec impatience, comme elle se vengera de son long aveuglement, que l’on pourrait croire volon-