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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL


— Vous voici, amis ! — Hélas ! ce n’est pas vers moi
          Que vous voulez venir.
Vous hésitez surpris — ah, que ne vous fâchez-vous !
Ce n’est plus — moi ? Plus mon visage et ma démarche ?
Et ce que je suis, amis — ne le serais-je pas pour vous ?


Serais-je un autre ? Étranger à moi-même ?
          De moi-même enfui ?
Lutteur qui trop souvent a dû se surmonter ?
Trop souvent s’est raidi contre sa propre force,
Blessé et arrêté par sa propre victoire ?


J’ai cherché où la brise était la plus aiguë.
          J’ai su demeurer
Où personne ne demeure, dans les zones arides,
Oubliant l’homme, Dieu, le blasphème et la prière,
Moi le fantôme errant sur les glaciers.


— Mes vieux amis ! Voyez, vous pâlissez,
          D’un frisson d’amour !
Non, sans rancune ! Allez. Pour vous point de séjour :
Ici, dans ce royaume des glaces et des roches
Il faut être chasseur et pareil au chamois.


Je fus méchant chasseur ! — Voyez comme mon arc
          Est tendu raide !
Car c’est le plus fort qui a décoché ce trait — — :
Mais malheur à vous ! Cette flèche est dangereuse
Comme nulle flèche, — ah ! fuyez pour votre bien !…