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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

trop tard et à un moment qui n’est pas le sien. En effet, on me l’a révélé, aujourd’hui vous ne croyez pas volontiers à Dieu et aux dieux. Peut-être aussi dois-je laisser aller la franchise de mon esprit plus loin qu’il n’est agréable aux sévères habitudes de vos oreilles ? Certainement le dieu en question, dans de pareils entretiens, allait-il plus loin, beaucoup plus loin, et fut-il toujours de plusieurs pas en avant sur moi… Certes, s’il m’était permis d’agir selon l’usage des hommes, j’aurais à lui donner de beaux noms solennels, des noms d’apparat et de vertu, j’aurais à vanter sa hardiesse de chercheur et d’explorateur, sa sincérité hasardée, sa véracité et son amour de la sagesse. Mais un tel dieu n’a que faire de tout cet honorable fatras, de tous ces oripeaux. « Garde cela, dirait-il, pour toi et tes pareils et pour quiconque en a besoin ! Moi — je n’ai pas de raison pour couvrir ma nudité ! » — On le devine : la pudeur manque sans doute à ce genre de divinité et de philosophe ? — Aussi me dit-il un jour : « En certaines circonstances j’aime les hommes — et en disant cela il faisait allusion à Ariane qui était présente. — L’homme est pour moi un animal agréable, hardi, ingénieux, qui n’a pas son pareil sur la terre, il sait trouver son chemin, même dans les labyrinthes. Je lui veux du bien. Je songe souvent aux moyens de le pousser en avant et de le rendre plus fort, plus méchant et plus profond qu’il n’est. — Plus fort, plus méchant et plus profond ? dis-je,