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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

rait soi-même, ce qui est contraire au bon goût. Sans doute, c’est là une domination de soi qui court toujours le risque d’être mal comprise. Il faut, pour pouvoir se permettre ce véritable luxe de goût et de moralité, ne pas vivre parmi les imbéciles intellectuels, mais plutôt parmi des hommes qui, avec leurs malentendus et leurs erreurs, réjouissent encore par leur délicatesse, autrement l’on en pâtirait cruellement. — « Il me loue, donc il me donne raison » — cette ânerie de logique nous gâte la moitié de la vie, à nous autres ermites, car elle amène les ânes dans notre voisinage et notre amitié.

284.

Vivre avec un sang-froid énorme et fier ; mais avoir l’esprit tourné toujours au-delà. — Avoir ou ne pas avoir, à son choix, ses passions, son pour et son contre, s’y appuyer pendant des heures, s’y mettre comme à cheval, souvent comme à âne. Car il faut savoir se servir de la bêtise de ses passions aussi bien que de leur fougue. Il faut savoir se conserver ses trois cents premiers plans et aussi ses lunettes noires : car il y a des cas où personne ne doit nous regarder dans les yeux : encore moins plonger dans le « fond » de nos causes. Et choisir pour compagnie ce vice gamin et joyeux, la politesse. Et rester maître de ces quatre vertus : le courage, la pénétration, la sympathie, la solitude. Car la solitude est chez nous une vertu,