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QU’EST-CE QUI EST NOBLE ?

qui veulent faire triompher leur espèce, généralement parce qu’ils sont forcés de s’imposer sous peine de se voir exterminés. Ici ce bien-être, cette surabondance, cette protection qui favorisent les variations font défaut ; l’espèce a besoin de l’espèce en tant qu’espèce, comme de quelque chose qui, justement grâce à sa dureté, à son uniformité, à la simplicité de sa forme, peut s’imposer et se rendre durable dans la lutte perpétuelle avec les voisins ou avec les opprimés en révolte, ou menaçant sans cesse de se révolter. L’expérience la plus multiple apprend à l’espèce grâce à quelles qualités surtout, en dépit des dieux et des hommes, elle existe toujours et a toujours remporté la victoire. Ces qualités elle les appelle vertus, ces vertus seules elle les développe. Elle le fait avec dureté, elle exige même la dureté. Toute morale aristocratique est intolérante dans l’éducation de la jeunesse, dans sa façon de disposer des femmes, dans les mœurs matrimoniales, dans les rapports des jeunes et des vieux, dans les lois pénales (lesquelles ne prennent en considération que ceux qui dégénèrent). Elle range l’intolérance même au nombre des vertus sous le nom d’« équité ». Un type qui présente peu de traits, mais des traits fort prononcés, une espèce d’hommes sévère, guerrière, sagement muette, fermée, renfermée (et, comme telle, douée de la sensibilité la plus délicate pour le charme et les nuances de la société), une telle espèce est fixée de la sorte