Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
PEUPLES ET PATRIES

imprégnait jusqu’à l’œil des peintres et l’oreille des musiciens, ils furent les premiers artistes qui aient eu une culture littéraire universelle ; presque tous écrivains ou poètes eux-mêmes, maniant presque tous plusieurs arts et plusieurs sens, et les interprétant l’un par l’autre (— Wagner, comme musicien est un peintre, comme peintre un musicien, et, d’une façon générale, en tant qu’artiste c’est un comédien —) ; tous fanatiques de l’expression à tout prix — je songe surtout à Delacroix, très proche parent de Wagner ; — tous grands explorateurs sur le domaine du sublime, comme aussi du laid et du hideux, plus grands inventeurs encore en matière d’effet de mise en scène, d’étalage ; tous ayant un talent bien au delà de leur génie ; virtuoses jusque dans les moelles sachant les secrets accès de ce qui séduit, enchante, contraint, subjugue ; tous ennemis nés de la logique et des lignes droites, assoiffés de l’étrange, de l’exotique, du monstrueux, du contrefait, du contradictoire ; et puis, en tant qu’hommes, tous Tantales de la volonté, plébéiens parvenus, également incapables d’une allure noble, mesurée et lente dans la conduite de leur vie et dans leur production artistique, — songez, par exemple, à Balzac ; — travailleurs effrénés, se dévorant eux-mêmes à force de travail ; ennemis des lois et révoltés en morale, ambitieux et avides sans mesure, sans répit, sans plaisir ; tous venant enfin se briser et s’écrouler aux pieds de la croix du Christ (— et