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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

occupait le premier rang en Italie (en même temps que l’art de la mélodie —). Mais en Allemagne (exception faite des temps les plus récents, où une sorte d’éloquence de tribune agite timidement et lourdement ses jeunes ailes) il n’y avait en somme qu’une sorte de discours publics à peu près soumis aux règles de l’art : c’est le discours prononcé du haut de la chaire. En Allemagne, le prédicateur seul savait ce que pèsent une syllabe et un mot, comment une phrase porte, bondit, se précipite, jaillit et se fond, lui seul avait de la conscience, car il y a assez de raisons pour croire qu’un Allemand atteint rarement, presque toujours trop tard, la perfection dans le discours. C’est pourquoi le chef-d’œuvre de la prose allemande est à juste titre le chef-d’œuvre de son plus grand prédicateur : la Bible fut jusqu’à présent le meilleur livre allemand. Opposé à la Bible de Luther presque tout le reste n’est que « littérature », — une chose qui n’a pas grandi en Allemagne, qui, par conséquent, n’a pas pris racine dans les cœurs allemands comme l’a fait la Bible.

248.

Il y a deux espèces de génies : l’une d’elles veut avant tout créer et elle crée, l’autre aime à se laisser féconder, et met au monde. De même, parmi les peuples géniaux, il en est à qui échoit le problème féminin de porter et le devoir secret de former, de