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PEUPLES ET PATRIES

un fait purement allemand, et n’était plus ce qu’avait été Beethoven, ce qu’avait été Mozart à un plus haut degré, un phénomène européen ; — et avec lui la musique allemande courait cet immense risque de cesser d’être la voix par où s’énonce l’âme de l’Europe et de tomber au rang médiocre d’une chose purement nationale. —

246.

— Quel martyre est la lecture des livres allemands pour celui qui possède la troisième oreille ! Avec quelle répugnance il s’arrête auprès de ce marécage au mouvement paresseux, flot de sons sans harmonie, de rythmes sans allure que l’Allemand appelle « livre » ! Et que penser encore de l’Allemand qui lit des livres ! Comme il lit avec paresse et répugnance, comme il lit mal ! Combien il y a peu d’Allemands qui savent et demandent à savoir s’il y a de l’art dans une bonne phrase, — de l’art qui veut être deviné, si la phrase doit être bien comprise ! Pour peu qu’on se méprenne par exemple sur l’allure, et la phrase elle-même est mal comprise. Il ne faut pas être indécis sur les syllabes importantes au point de vue du rythme, il faut sentir comme un charme voulu les infractions à la symétrie rigoureuse, il faut tendre une oreille fine et patiente à chaque staccato et à chaque rubato et deviner le sens qu’il y a dans la suite des voyelles et des diphthongues, deviner comment, dans