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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

mands ; il lui arrive de définir le célèbre Gemüth germanique « l’indulgence pour les faiblesses des autres et pour les siennes propres ». A-t-il tort ? — Les Allemands ont ceci de particulier qu’on a rarement tout à fait tort lorsqu’on porte un jugement sur eux. L’âme allemande a des galeries et des couloirs, des cavernes, des cachettes, des réduits ; son désordre a beaucoup du charme de ce qui est mystérieux. L’Allemand est à son aise parmi les voies furtives qui mènent au chaos, et, comme toute chose aime son symbole, l’Allemand aime les nuages et tout ce qui est indistinct, naissant, crépusculaire, humide et voilé ; l’incertain, l’embryonnaire, ce qui est en voie de transformation, de croissance, lui donne l’impression de la « profondeur ». L’Allemand lui-même n’est pas, il devient, il « se développe ». C’est pourquoi le « développement » est la trouvaille propre de l’Allemand, celle qu’il jeta dans le vaste empire des formules philosophiques : idée aujourd’hui souveraine et qui, alliée à la bière allemande et à la musique allemande, est en voie de germaniser l’Europe entière. Les étrangers demeurent stupéfaits et conquis devant les énigmes que leur propose la nature contradictoire qui fait le fond de l’âme allemande (Hegel l’a mise en système ; Richard Wagner a trouvé mieux, il l’a mise en musique). « Bon enfant et sournois », coexistence qui serait absurde s’il s’agissait de tout autre peuple, et qui, hélas !