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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

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Il fut un temps où l’on donnait habituellement aux Allemands l’épithète de « profonds » : aujourd’hui que le néo-germanisme à la mode a de tout autres prétentions, et reprocherait volontiers à ce qui a de la profondeur d’être trop peu « tranchant », il y a de l’optimisme et du patriotisme à se demander si cet antique éloge n’est pas une duperie, en un mot si cette prétendue profondeur allemande n’était pas, au fond, quelque chose d’autre et de pire, quelque chose dont, grâce à Dieu, on est en train de se défaire. Essayons donc de voir plus clair dans cette profondeur germanique. Il suffit pour cela de disséquer un peu l’âme allemande. — L’âme allemande est avant tout composite, d’origines multiples, faite d’éléments ajoutés et accumulés, plutôt qu’elle n’est vraiment construite : cela tient à sa provenance. Un Allemand qui oserait s’écrier : « Je porte, hélas ! deux âmes en moi[1] ! » se tromperait d’un joli chiffre d’âmes. Peuple disparate, fait d’un mélange et d’un pêle-mêle indescriptible de races, peut-être avec une prédominance des éléments pré-aryens, « peuple du milieu » dans tous les sens du mot, les Allemands sont, pour eux-mêmes, plus insaisissables, plus indéfinis, plus contradictoires, plus inconnus,

  1. Gœthe, Faust, acte I, scène II, dans le dialogue avec Wagner, — N.d.T.