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PEUPLES ET PATRIES

ment ! un homme d’État qui ferait tout cela, un homme dont un peuple devrait expier les fautes jusque dans l’avenir le plus lointain, en admettant qu’il ait un avenir, un tel homme serait grand ? — Indubitablement ! lui répondit vivement l’autre vieux patriote : autrement il n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait ! C’était peut-être fou de vouloir cela, mais peut-être que tout ce qui est grand a commencé par être fou ! — Quel abus des mots ! s’écria son interlocuteur : — fort ! fort ! fort et fou, mais pas grand ! » — Les deux vieux s’étaient visiblement échauffés en se jetant de la sorte leurs vérités à la tête. Mais moi, dans mon bonheur et dans mon au-delà, je me disais que bientôt de cette force triompherait une autre force ; et aussi qu’il y a une compensation à l’aplatissement d’un peuple ; c’est qu’un autre peuple devienne plus profond. —

242.

Qu’on appelle « civilisation », ou « humanisation », ou « progrès » ce qui distingue aujourd’hui les Européens ; qu’on appelle cela simplement, sans louange ni blâme, avec une formule politique, le mouvement démocratique en Europe : derrière tous les premiers plans politiques et moraux, désignés par une telle formule, s’accomplit un énorme processus physiologique, dont le mouvement grandit chaque jour, — le phénomène du rapprochement des Européens, des Européens qui s’éloi-