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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

souvent même contre le vœu de son cœur, — c’est-à-dire à nier, alors qu’il voudrait affirmer, aimer, adorer, — agit comme artiste et transfigure la cruauté. Toute tentative d’aller au fond des choses, d’éclaircir les mystères est déjà une violence, une volonté de faire souffrir, la volonté essentielle de l’esprit qui tend toujours vers l’apparence et le superficiel, — dans toute volonté de connaître il y a une goutte de cruauté.

230.

Peut-être ne comprend-on pas à première vue ce que j’ai dit de la « volonté essentielle de l’esprit » : qu’on me permette donc un mot d’explication. — Ce quelque chose qui commande, que le peuple a appelé « esprit », veut être maître et se sentir maître en soi et autour de soi. Il a la volonté de parvenir de la diversité à l’unité, une volonté qui restreint, qui assujettit, qui a soif de domination et qui est vraiment faite pour dominer. Ses besoins et ses qualités sont les mêmes que ceux reconnus par les physiologistes dans tout ce qui vit, croît et se multiplie. La puissance de l’esprit à s’assimiler les éléments étrangers se révèle par un penchant énergique à rapprocher le nouveau de l’ancien, à simplifier ce qui est multiple, à négliger ou à rejeter ce qui est en contradiction complète. De même ce penchant soulignera et relèvera plus énergiquement et d’une façon arbitraire, pour