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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

histoire de ce qui fut pensé jadis. Une littérature impossible, somme toute, si l’on ne s’entend pas à y jeter l’amertume d’un peu de méchanceté. Car dans ces moralistes (qu’il faut lire absolument avec des arrière-pensées, s’il faut les lire —) s’est aussi glissé ce vieux vice anglais qui s’appelle le cant, et qui est une tartuferie morale, mais caché cette fois-ci sous une nouvelle apparence scientifique. Il y a aussi chez eux une résistance secrète contre les remords dont, comme de raison, doit souffrir une race d’anciens puritains qui s’occupe de la science de la morale. (Un moraliste n’est-il pas l’antithèse d’un puritain, quand, bien entendu, ce penseur est un moraliste qui regarde la morale comme une chose douteuse, énigmatique, bref comme un problème ? Moraliser ne serait-ce pas… une chose immorale ?) Au fond, tous les moralistes sont résolus à donner raison à la moralité anglaise, dans la mesure où cette morale sera utile à l’humanité ou à l’« utilité publique », ou au « bonheur du plus grand nombre », non : au bonheur de l’Angleterre. Ils voudraient à toute force se persuader que l’effort vers le bonheur anglais, je veux dire le comfort et la fashion (et en dernière instance vers un siège au Parlement), que tout cela se trouve précisément sur le sentier de la vertu, enfin que toute vertu qui a jamais existé dans le monde s’est toujours incarnée dans un tel effort. Aucune de ces pesantes bêtes de troupeau, à la conscience trou-