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NOS VERTUS

tout le vacarme propre à ces prêcheurs (comme à tous les prêcheurs), il entendra une voix enrouée, haletante, la vraie voix du mépris de soi-même. Elle provient, si elle n’en est pas elle-même la cause, de cet assombrissement, de cet enlaidissement de l’Europe qui, depuis un siècle déjà, ne fait que croître (et dont les premiers symptômes sont signalés dans une lettre si profonde de Galiani à madame d’Épinay). L’homme des « idées modernes », ce singe orgueilleux, est excessivement mécontent de lui-même : cela est certain. Il pâtit, et sa vanité permet seulement qu’il « com-pâtisse »…

223.

L’homme-mixture qui est l’Européen — un assez vilain plébéien, somme toute — a absolument besoin d’un costume : il lui faut l’histoire en guise de garde-robe pour ses costumes. Il s’aperçoit, il est vrai, qu’aucun costume ne lui va — il échange et entrechange sans cesse. Qu’on examine bien le dix-neuvième siècle dans ses prédilections éphémères et sa mascarade bariolée de tous les styles, et aussi dans son chagrin de s’apercevoir enfin que rien « n’est à sa mesure » — ! En vain prend-on le romantique, le classique, le chrétien, le florentin, le baroque ou le « national », in moribus et artibus : rien n’« habille » ! Mais l’esprit, en particulier l’« esprit historique », profite même de cette agitation désespérée. On recherche sans cesse un nou-