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NOS VERTUS

216.

Aimer ses ennemis ? Je crois qu’on a bien appris cela ; on le fait aujourd’hui de mille manières, en petit et en grand ; il arrive même parfois quelque chose de plus haut et de plus sublime — nous apprenons à mépriser quand nous aimons et précisément quand nous aimons le mieux. Mais tout cela inconsciemment, sans bruit et sans éclat, avec cette pudeur et ce mystère du bien qui interdit de prononcer le mot solennel et la formule consacrée de la vertu. La morale comme attitude — est aujourd’hui tout à fait contraire à notre goût. C’est là un progrès ; de même que pour nos pères ce fut un progrès quand enfin la religion comme attitude devint contraire à leur goût, y compris l’inimitié et l’amertume voltairienne à l’égard de la religion (et tout le jargon et les gestes du libre-penseur de jadis). C’est la musique dans notre conscience, c’est la danse dans notre esprit, dont les litanies puritaines, les sermons de morale et la vieille honnêteté ne veulent pas s’accommoder.

217.

Se tenir en garde contre ceux qui attachent une grande importance à ce qu’on leur accorde du tact moral et de la délicatesse dans les distinctions morales : ils ne nous pardonneront jamais, s’il leur arrive de commettre une faute devant nous (ou