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NOUS AUTRES SAVANTS

ce qu’il mène une vie « sage », une « vie de philosophe », cela ne veut guère dire autre chose que ceci, qu’il est « prudent » et qu’il vit a « à l’écart ». Sagesse, c’est pour la foule une sorte de fuite prudente, un moyen habile de « tirer son épingle du jeu ». Mais le vrai philosophe — n’est-ce pas notre avis, mes amis ? — le vrai philosophe vit d’une façon « non-philosophique », « non-sage », et, avant tout, déraisonnable. Il sent le poids et le devoir de mille tentatives et tentations de la vie. Il se risque constamment, il joue gros jeu…

206.

Comparé à un génie, c’est-à-dire à un être qui engendre ou enfante, les deux termes pris dans leur sens le plus étendu, le savant, l’homme de science de la moyenne, a toujours quelque chose de la vieille fille, car, comme elle, il n’entend rien à ces deux fonctions les plus importantes de l’homme : engendrer et enfanter. Et vraiment on leur accorde à tous deux, savant et vieille fille, la respectabilité en guise de dédommagement — on souligne, en ces cas, la respectabilité — et, forcé à cette concession, on y mêle une égale dose d’ennui. Examinons les choses de plus près. Qu’est-ce que l’homme de science ? D’abord une sorte d’homme sans noblesse, avec les vertus d’un être sans noblesse, c’est-à-dire d’un être qui n’appartient pas à l’espèce qui domine et possède l’autorité, un