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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

qui fait que son coup-d’œil, son évaluation générale n’ont plus guère de valeur. C’est peut-être justement la délicatesse de sa conscience intellectuelle qui le fait hésiter et s’arrêter en route. Il craint la séduction qui l’entraînerait à être dilettante, à étendre partout des pattes et des antennes ; il sait trop bien que celui qui a perdu le respect de lui-même ne sait plus ni commander, ni conduire, en tant que connaisseur, à moins qu’il n’aspire à devenir grand comédien, Cagliostro philosophique, attrapeur intellectuel, bref, séducteur. Ce serait là, en fin de compte, une question de goût, si ce n’était pas une question de conscience. À cela s’ajoute, pour augmenter encore les difficultés où se débat le philosophe, que celui-ci réclame de lui-même un jugement, un oui ou un non, non point au sujet de la science, mais sur la vie et la valeur de la vie. Il se persuade difficilement qu’il a un droit ou même un devoir à ce sujet et, souvent interdit, plein de doute et d’hésitation, il en est réduit à chercher sa voie vers ce droit et cette croyance en s’aidant uniquement des expériences les plus vastes, parfois les plus troublantes et les plus destructrices. De fait, la foule a longtemps méconnu le philosophe et l’a pris, soit pour l’homme de science, l’idéal du savant, soit pour le charlatan religieux, planant au-dessus du monde, méprisant les sens, ivre de Dieu. Et s’il vous arrive aujourd’hui d’entendre louer quelqu’un de