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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

ait bonne odeur[1]. « Plus de maîtres ! » c’est encore le cri de l’instinct plébéien, et la science, après s’être défendue avec un succès éclatant de la théologie dont elle fut trop longtemps la « servante », s’avise maintenant, avec une absurde arrogance, de faire la loi à la philosophie et essaye, à son tour, de jouer au « maître » — que dis-je ! au philosophe. Ma mémoire — la mémoire d’un homme de science, avec votre permission ! est farcie de naïvetés orgueilleuses qu’il m’a été donné de surprendre, au sujet de la philosophie et des philosophes, dans la bouche des jeunes naturalistes et des vieux médecins (sans parler des plus cultivés et des plus présomptueux de tous les savants, les philologues et les pédagogues qui possèdent ces deux qualités par la grâce de leur profession —). Tantôt c’était le spécialiste, l’homme à l’horizon restreint, qui se mettait instinctivement en défense contre toute tâche et toute aptitude synthétiques ; tantôt c’était le laborieux travailleur qui avait respiré un parfum d’oisiveté dans l’économie morale du philosophe, ainsi qu’un certain sybaritisme distingué, et qui s’en serait cru lésé et amoindri. Tantôt encore, c’était l’aveuglement de l’utilitaire qui ne voyait dans la philosophie qu’une série de systèmes réfutés et une prodigalité qui ne « profitait » à personne. Tantôt aussi surgissait la crainte

  1. Allusion au proverbe allemand : Eigenlob stinkt. — N. d. T.