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HISTOIRE NATURELLE DE LA MORALE

l’Anglais aspire inconsciemment à son travail de la semaine. Le dimanche devient pour celui-ci une sorte de jeûne sagement inventé et intercalé, tel qu’on le rencontre souvent dans le monde antique (bien que ce ne soit pas toujours en vue du travail, comme il convient chez les peuples du Midi — ). Il faut qu’il y ait des jeûnes de diverses sortes ; et partout où dominent des habitudes et des instincts puissants, les législateurs ont à se soucier d’introduire des jours intercalaires, durant lesquels un de ces penchants est chargé de chaînes pour apprendre de nouveau à avoir faim. Considérées à un point de vue supérieur des races et des époques tout entières apparaissent, dès qu’elles se présentent avec quelque fanatisme moral, comme l’équivalent de ces périodes intercalées de jeûne et de contrainte, durant lesquelles un instinct apprend à se plier et à se soumettre, mais aussi à se purifier et à s’affiner. Certaines sectes philosophiques (par exemple le stoïcisme au milieu de la culture gréco-romaine, avec son atmosphère ardente et surchargée de parfums aphrodisiaques) permettent, elles aussi, une pareille interprétation. — Ainsi s’explique en quelque sorte ce paradoxe que, dans la période la plus chrétienne de l’Europe, et en général sous la pression des évaluations chrétiennes seulement, l’instinct sexuel s’est sublimé jusqu’à l’amour (amour-passion).