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HISTOIRE NATURELLE DE LA MORALE

Kant, donnerait à entendre, par sa morale : « Ce qui est respectable en moi, c’est que je puis obéir — et, chez vous autres, il ne doit pas en être autrement que chez moi ! » — Aussi les morales ne sont-elles qu’un langage figuré des passions.

188.

Toute morale est, par opposition au laisser-aller une sorte de tyrannie contre la « nature » et aussi contre la « raison ». Mais ceci n’est pas une objection contre elle, à moins que l’on ne veuille décréter, de par une autre morale, quelle qu’elle soit, que toute espèce de tyrannie et de déraison sont interdites. Ce qu’il y a d’essentiel et d’inappréciable dans toute morale, c’est qu’elle est une contrainte prolongée. Pour comprendre le stoïcisme, ou Port-Royal, ou le puritanisme, il faut se souvenir de la contrainte que l’on dut imposer à tout langage humain pour le faire parvenir à la force et à la liberté, — contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Quelle peine les poètes et les orateurs de chaque peuple se sont-ils donnée ! Et je ne veux pas excepter quelques prosateurs d’aujourd’hui qui trouvent dans leur oreille une conscience implacable — « pour une absurdité », comme disent les maladroits utilitaires qui par là se croient avisés, — « par soumission à des lois arbitraires », comme disent les anarchistes, qui se prétendent ainsi libres, et mêmes libres-penseurs.