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HISTOIRE NATURELLE DE LA MORALE

d’eux-mêmes n’apparaissait, sous son jour véritable, que comme une forme savante de la bonne foi en la morale dominante, un nouveau moyen d’exprimer cette morale, par conséquent un état de faits dans les limites d’une moralité déterminée, ou même, en dernière instance, une sorte de négation que cette morale pût être envisagée comme problème. De toute façon, c’était le contraire d’un examen, d’une analyse, d’une contestation, d’une vivisection de cette croyance même ! Qu’on écoute, par exemple, avec quelle innocence presque vénérable Schopenhauer présente encore sa propre tâche, et qu’on tire les conclusions au sujet du caractère scientifique d’une « science » dont les derniers maîtres parlent comme les enfants et les vieilles femmes. « Ce principe, dit Schopenhauer (le Fondement de la Morale, chap. II, § 6), cette proposition première sur la teneur de laquelle, au fond, tous les moralistes sont d’accord : neminem læde, immo omnes, quantum potes, juva, — voilà, en réalité, le principe que tous les théoriciens des mœurs travaillent à fonder… le fondement vrai de l’éthique, cette pierre philosophale qu’on cherche depuis des milliers d’années[1]. » — La difficulté de démontrer la proposition citée peut être grande sans doute, et il est notoire que Schopenhauer n’y a pas réussi. Mais celui qui a profondément senti combien cette

  1. Schopenhauer, le Fondement de la morale, trad. A. Burdeau, p. 35. — N. d. T.